VI
PARÉ A PRENDRE LA MER

A bord du Benbow, Thomas Herrick, commodore par intérim, était assis, les coudes posés sur la table vernie de la grand-chambre. Il contemplait d’un œil terne et pour la énième fois le rapport qui lui avait coûté tant d’efforts.

Il aurait pu être fier de ce qu’il avait réussi à faire. Les charpentiers ou les calfats les plus optimistes avaient prédit qu’il faudrait compter encore un mois, au mieux, pour terminer les travaux. Le lendemain était le premier août, ils avaient fini bien plus tôt que ce qu’il avait pu espérer.

Il avait sous les yeux les mots qu’il rêvait d’écrire depuis si longtemps à Leurs Seigneuries – Me trouvant sous tous rapports en état de prendre la mer, etc. –, ils attendaient sa signature, et pourtant… Il n’arrivait à ressentir ni joie ni le moindre enthousiasme.

Ce n’était pas à cause des nouvelles qu’il avait reçues, c’était parce qu’il n’en avait pas. Tout avait sans doute commencé lorsque La Sans-Rivale, frégate de l’escadre de Bolitho, était arrivée à Plymouth, portant de nombreuses avaries, toutes pompes en action pour se maintenir à flot en attendant de l’assistance. Rien n’aurait pu bouleverser Herrick à ce point, même par les temps qui couraient, aucun autre événement de guerre. Il avait vu trop de bâtiments disparaître, trop de morts et de blessés que l’on débarquait comme les malheureux de La Sans-Rivale, et il n’avait pas de peine à dissimuler ses sentiments intimes.

Mais peu importe, son trouble ne datait pas de ce jour. Il remontait bien plus avant, au jour où Bolitho avait transféré sa marque sur le Styx et était parti pour ce que Herrick considérait comme une mission assez scabreuse.

Le nom de la Phalarope dans le livre des signaux, l’annonce froide qu’elle était affectée à l’escadre de Bolitho, tout cela n’avait pas contribué à calmer ses craintes. Dulcie, qui était restée près de lui à Plymouth et séjournait à l’auberge du Lion d’Or, avait tout essayé pour le réconforter. Herrick sentit sa bouche se décrisper à cette pensée. Il se sentait presque coupable de connaître tant de bonheur. Mais Dulcie ne pouvait comprendre les particularités de la mer ou de la marine. Herrick avait fini par trancher : s’il avait son mot à dire en la matière, ce ne serait pas son cas.

Il entendit des pas dans la chambre mitoyenne. C’était Ozzard, le domestique de Bolitho, qui se traînait comme une âme en peine depuis que son maître était parti sans lui. Il n’était pas seul dans son cas à bord du Benbow. Yovell par exemple, le secrétaire de Bolitho, qui venait de recopier son rapport, de sa belle écriture ronde. Aussi ronde que l’homme avec son accent du Devonshire.

Le pont bougeait doucement, Herrick se leva et s’approcha des fenêtres grandes ouvertes à la poupe. Il y avait beaucoup moins de vaisseaux en carénage à présent, on entendait moins de coups de marteau ou de grincements de palans à bord des machines à mâter.

Il apercevait le soixante-quatorze de Keen, le Nicator, qui dansait au bout de son câble. Des tauds et des voiles étaient tendus un peu partout pour rendre la vie un peu moins désagréable dans les entreponts, avec la chaleur étouffante qui régnait. Et L’Indomptable, l’autre deux-ponts, dont le nouveau commandant, Henry Veriker, s’était déjà taillé une solide réputation dans leur petite escadre. Il était presque sourd à la suite d’une blessure reçue pendant le combat d’Aboukir, ce qui était assez courant lorsque la canonnade durait pendant des heures. Mais sa surdité avait des hauts et des bas, si bien que l’on ne savait jamais trop s’il avait entendu ou mal compris ce qu’on lui disait. Cela ne devait pas être facile pour ses officiers, songea Herrick. Il gardait lui-même un assez mauvais souvenir de la seule fois où il avait partagé son dîner avec lui.

Il se pencha sur l’appui et aperçut leur nouvelle frégate, celle qu’il avait déjà vue en rejoignant son propre bâtiment, alors qu’elle venait d’être lancée. Elle était plus basse sur l’eau, on distinguait une gueule noire à chaque sabord, les trois mâts et le gréement dormant avaient été mis en place. Tu n’as plus longtemps à attendre, ma belle. Et qui était l’heureux homme qui la commandait, se demanda-t-il ?

Voir cette frégate toute neuve le fit penser à Adam Pascœ. Quel jeune galopin : avoir accepté cet embarquement sans penser un seul instant à ce que cela pouvait signifier ! La Phalarope. Bolitho avait littéralement fait ce bâtiment, il lui avait donné vie. Mais Herrick le revoyait comme il l’avait connu quand il y avait embarqué comme jeune enseigne. Un navire où la vie était rude, où les hommes étaient à bout, avec un commandant qui considérait le moindre signe d’humanité comme un péché.

Il entendit la voix étouffée du factionnaire et se retourna pour voir arriver le second, voûté sous les barrots, obligé qu’il était de se courber pour glisser sa grande carcasse surmontée d’une tignasse rousse.

— Oui, monsieur Wolfe ?

Les yeux profondément enfoncés de Wolfe se tournèrent imperceptiblement vers le rapport, mais il revint à son commandant. Il avait travaillé plus dur que la plupart des hommes, mais trouvait encore le temps de mettre un peu de plomb dans la cervelle de ses jeunes officiers à peine formés.

— Message de l’officier de garde, commandant. Le major général risque fort d’arriver d’ici une demi-heure – il sourit de toutes ses dents plantées n’importe comment. J’ai déjà donné les ordres nécessaires, commandant. Garde d’honneur et l’équipage aux postes de bande.

Herrick réfléchit à cette nouvelle. Le major général, un personnage dont les visites étaient rares. Mais il l’avait déjà aperçu et il lui avait fait bonne impression : homme affable, bon vivant, certes, mais désormais plus habitué à la vie d’un chantier naval et aux marchands qu’à une escadre en mer.

— Parfait, répondit-il. Je ne vois pas ce que nous pourrions craindre. Pour ce qui est d’être parés, nous avons même battu le Nicator du commandant Keen, n’est-ce pas ?

— Vous croyez qu’il vient nous apporter nos ordres, amiral ?

Cette perspective mettait Herrick mal à son aise. Il n’avait même pas eu le temps de choisir un capitaine de pavillon car, quelle que fût la durée pendant laquelle il devrait arborer sa marque sur le Benbow, il lui fallait en trouver un. C’était peut-être parce que cela rendrait les choses un peu plus définitives, songea-t-il. Cela trancherait le dernier lien avec son amiral et véritable ami, dont il ne savait toujours pas ce qu’il était devenu.

Il y eut des claquements de pieds et, après s’être fait annoncer par le fusilier de faction dans la coursive, le cinquième lieutenant, sa coiffure sous le bras, fit une entrée assez solennelle.

Wolfe lui jeta un regard perçant et le jeune homme se troubla. En réalité, le second était assez satisfait de ses services, mais il était trop tôt pour le lui laisser voir. Comme il avait coutume de dire, « nous verrons ce que vous donnez à la mer ».

— C’est… euh… c’est un pli, amiral, porté par la diligence de Falmouth.

Herrick le lui arracha presque des mains.

— Très bien. Retournez à vos occupations, monsieur Nash.

L’enseigne sorti, Wolfe alla s’asseoir dans un siège. Herrick ouvrit l’enveloppe. Il connaissait cette écriture et, bien qu’il eût espéré cette lettre, il redoutait ce qu’elle pouvait contenir.

Wolfe le regardait avec une certaine curiosité. Il savait presque tout et avait deviné le reste. Mais il avait fini par s’habituer à cet étrange attachement qu’éprouvait le commandant pour Richard Bolitho, sans cependant le comprendre totalement. Pour Wolfe, un ami marin était comme un bâtiment : vous vous donniez votre amitié, mais une fois que la vie vous avait séparés il valait mieux tout oublier.

Herrick reposa soigneusement la lettre, il imaginait ses cheveux châtains qui lui tombaient sur le front tandis qu’elle écrivait. Il annonça tout à trac :

— Mrs. Laidlaw arrive à Plymouth. Ma femme prendra soin d’elle pendant son séjour.

Wolfe avait l’air un peu déçu :

— Est-ce tout, commandant ?

Herrick le regarda dans les yeux : c’était vrai, elle envoyait son meilleur souvenir à Dulcie et à lui-même, mais rien de plus. Cependant, cela constituait un pas dans la bonne direction. Une fois qu’elle serait sur place, dans l’univers de Bolitho, elle se sentirait plus libre de s’exprimer, de lui demander conseil, à supposer qu’elle en eût besoin.

Des bruits de voix se faisaient entendre un peu partout et Wolfe s’exclama en prenant sa coiffure :

— L’amiral ! Nous l’avons complètement oublié, celui-là !

Haletants, le sabre serré au côté pour éviter de trébucher, le commandant trapu et son second tout efflanqué grimpèrent en courant sur la dunette.

L’amiral Sir Cornélius Hoskyn, chevalier du Bain, se hissa lourdement à la coupée et, en dépit de son embonpoint, arriva sans même souffler, puis se découvrit pour saluer l’arrière et attendit patiemment que les fifres de la clique eussent terminé de lui jouer Cœur de chêne.

Il avait la voix chaude et charmeuse, et Herrick se dit qu’il était aussi rose qu’un cotillon. Cet homme trouvait toujours le temps d’écouter les commandants de passage, de leur rendre visite et de faire tout son possible pour eux.

L’amiral jeta un coup d’œil à la marque qui flottait au vent et remarqua :

— J’ai été heureux d’entendre parler de ceci – il salua d’un signe de tête les officiers rassemblés. Votre bâtiment plaide en votre faveur. Vous êtes prêt à appareiller, n’est-ce pas ?

Herrick allait répondre que son rapport de fin de travaux n’attendait plus que sa signature, mais l’amiral était déjà parti se mettre à l’ombre sous la dunette. Suivaient en cortège son aide de camp, son secrétaire et deux domestiques, portant ce qui ressemblait fort à une caisse de vin.

Une fois arrivé dans la grand-chambre, l’amiral s’installa confortablement dans un fauteuil, tandis que ses assistants s’activaient sous la conduite du maître d’hôtel de Herrick pour préparer des verres et servir le vin.

— Ceci est votre rapport ?

L’amiral sortit de son gros manteau une minuscule paire de lunettes et jeta un coup d’œil au document.

— Signez tout de suite, je vous prie. Parfait, ajouta-t-il dans un même souffle en prenant le vin que lui tendait l’un de ses mignons, j’espère que ce verre est glacé, mon ami !

Herrick alla s’asseoir, l’enseigne et le secrétaire sortirent, ce dernier serrant contre lui le rapport comme s’il s’agissait d’un talisman.

— A nous.

Sir Cornélius Hoskyn examina Herrick avec attention par-dessus ses lunettes.

— Vous allez recevoir vos ordres, ce soir peut-être. Après mon départ, je souhaite que vous convoquiez une conférence des commandants. Préparez-les à appareiller sans tarder. Qu’ils aient ou non complété leurs équipages, qu’il leur manque encore quelque chose, je m’en moque, c’est leur problème. Certains prétendent que la paix sera bientôt là ; je prie le ciel qu’il en soit ainsi mais, tant que je ne serai pas convaincu du contraire, nous sommes toujours en état de guerre.

Il n’avait pas seulement élevé la voix, et pourtant on eût dit que ses paroles résonnaient dans la chambre baignée de soleil comme des coups de pistolet.

— Cependant, sir Cornélius, avec tout le respect que je vous dois… – Herrick était à bout d’arguments, mais insistait tout de même – … mes bâtiments sont toujours placés sous les ordres du contre-amiral Bolitho et vous savez certainement que…

— J’ai beaucoup d’estime pour vous, Herrick, et c’est la raison pour laquelle je suis venu afin de remplir un devoir que je hais plus que tout – sa voix se radoucit. Reprenez donc un peu de ce vin, il vient de ma cave.

Herrick but machinalement son vin, sans plus y faire attention que s’il s’était agi de l’eau du tonneau.

— Amiral ?

— Je viens de recevoir des nouvelles par courrier spécial. Voici ce que j’ai à vous apprendre : il y a dix jours, alors qu’elle tentait apparemment de détruire des navires ennemis dans le sud de l’estuaire de la Loire, la frégate de Sa Majesté britannique Styx a fait naufrage et s’est perdue. Tout ceci s’est passé très vite, avec un vent qui forcissait – il se tut, le temps de voir la tête que faisait Herrick. Plusieurs navires ennemis, dont un vaisseau de ligne, sont alors arrivés et il a fallu interrompre le combat.

— Vous voulez dire que les autres bâtiments se sont retirés ! demanda calmement Herrick.

— Enfin oui, mais surtout l’un d’eux. C’est son commandant, qui était le plus ancien sur place, qui a pris cette décision. Je suis navré de devoir vous annoncer cette nouvelle, j’ai entendu parler de cette amitié très profonde qui vous liait.

Herrick se leva brusquement comme s’il avait reçu un coup :

— Qui vous liait ? Vous voulez dire…

— Il n’y a sans doute pas beaucoup de survivants, mais rien ne nous interdit d’espérer.

Herrick serrait violemment les poings, il alla tambouriner contre les fenêtres.

— Il me disait souvent que les choses se termineraient ainsi – puis, d’une voix rauque : Et qui était ce commandant, amiral ? ajouta-t-il.

Mais au fond de lui-même, il connaissait la réponse.

— Emes, de la Phalarope.

Herrick n’arrivait pas à le regarder en face. Ce pauvre Adam avait dû assister à toute l’affaire, tandis que ce pleutre d’Emes prenait ses jambes à son cou.

Mais, soudain, une autre pensée lui vint et il s’exclama :

— Mon Dieu, amiral, elle arrive de Falmouth !

Les mots se bousculaient dans sa bouche :

— La jeune femme qu’il allait épouser ! Mais que vais-je lui dire ?

L’amiral se leva.

— Je crois que ce que vous avez de mieux à faire est de retourner à vos devoirs et d’essayer d’oublier en vous occupant. Ce genre de chose est assez commun depuis que dure cette guerre qui n’en finit pas. Oui, je sais, on ne s’y habitue jamais, et je ne vais pas essayer de vous consoler, car j’ai bien conscience qu’il n’y a pas de consolation possible. Mais, si j’apprends quoi que ce soit, je vous en préviendrai sur-le-champ.

Herrick le suivit sur la dunette, à peine conscient de ce qui se passait.

Lorsqu’il retrouva enfin ses esprits, le canot de l’amiral avait quitté le bord et Wolfe était près de lui, qui lui demandait la permission de faire rompre la garde d’honneur et l’équipage.

— Me direz-vous ce qui se passe, commandant ?

Sa voix égale, posée, avait quelque chose de rassurant.

— Richard Bolitho, le Styx, tous disparus.

Wolfe fit demi-tour pour le protéger des autres :

— Allez, au boulot, bande de fainéants ! Remuez un peu vos carcasses, ou je vais dire au bosco d’assouplir sa baguette sur vos rognons !

Herrick se retira dans sa chambre et s’effondra dans un fauteuil. Ce bâtiment, sa marque, même son bonheur tout neuf, tout cela n’avait plus aucun sens.

Wolfe apparut à la portière :

— Des ordres, commandant ?

— Ah oui, il y a toujours des ordres, monsieur Wolfe. Faites un signal au Nicator et à L’Indomptable : « Les commandants convoqués à bord » – il secouait la tête, l’air désespéré. Mais cela peut attendre. Asseyez-vous donc et prenez un peu de ce vin de l’amiral. Il dit que c’est du bon.

— Plus tard, lui répondit Wolfe. Cela me ferait plaisir, mais j’ai un certain nombre de choses à régler. Je ferai ce signal à huit heures, commandant. Nous avons le temps.

En sortant de la chambre, Wolfe tomba littéralement sur la silhouette chétive d’Ozzard. Seigneur, cet homme venait de pleurer. A présent, tout le monde devait être au courant. C’était toujours la même chose dans la marine, pas moyen de garder le moindre secret.

Wolfe s’arrêta au soleil et prit plusieurs respirations profondes. Il n’avait en fait rien de particulier à faire, mais s’asseoir là et être témoin des angoisses de Herrick était au-dessus de ses forces. Se trouver aussi impuissant face à un homme qu’il s’était pris à respecter à ce point, voilà qui le troublait profondément, et il ne se souvenait pas de s’être jamais senti aussi démuni.

Dans sa chambre, Herrick se remplit un verre, puis un autre. Cela ne soulageait pas, mais du moins, cela vous occupait.

Il s’arrêta soudain, la main en l’air, lorsque ses yeux tombèrent sur le râtelier, sur le sabre d’honneur que Bolitho avait laissé là en embarquant sur le Styx.

C’était un bien bel objet, mais il n’était pas encore assez beau pour cet homme qui l’avait cent fois mérité.

 

Herrick débarqua du canot vert du Benbow et attendit son maître d’hôtel sur la jetée.

Il était descendu à terre plus tard, beaucoup plus tard, qu’il n’eût souhaité. La rade et le mouillage étaient baignés d’une lumière rouge sombre, les navires semblaient se reposer sur l’eau calme.

Herrick avait fait porter à sa femme un message par lequel il l’informait de ce qu’il pouvait lui dire. C’était une femme de tête qui perdait rarement son sang-froid, mais Herrick voulait être avec elle lorsque la diligence de Falmouth arriverait.

— Tuck, retournez à bord. Je louerai un canot pour rentrer. Mr. Wolfe sait où je vais.

Le maître d’hôtel le salua. Il était au courant de tout, mais ses pensées allaient à Allday plus qu’à Bolitho. Compte tenu de leurs fonctions respectives, ils avaient fini par bien se connaître et s’entendaient parfaitement.

— Bien, commandant.

— Et, Tuck, s’il se répand la moindre rumeur dans l’entrepont…

— Mais oui, commandant, je sais. Je vais rentrer si vite à bord que la quille ne touchera même pas l’eau.

Herrick se mit en route sur la jetée. Ses souliers claquaient sur les pavés ronds et usés qui avaient vu passer des légions d’hommes de mer, depuis Drake et bien avant.

Il s’arrêta, un peu tendu, en vue du Lion d’Or dont les fenêtres se teintaient de rouge au soleil couchant, comme si l’auberge était en flammes. La diligence était arrêtée au milieu de la cour, vide, les chevaux avaient été dételés. Un ou deux valets chargeaient sur le toit des malles pour la prochaine étape, Exeter.

La situation était déjà assez ennuyeuse, mais le fait que la diligence fût arrivée à l’heure et même en avance la rendait encore plus préoccupante.

Il aperçut un unijambiste, avec une prothèse de fortune, qui soufflait dans un sifflet de métal pour amuser des gamins et les rares passants. On voyait à son habit rouge en loques qu’il s’agissait d’un ancien fusilier et sa manche portait même une tache sombre, là où avaient été cousus des chevrons. Herrick en conclut qu’il s’agissait d’un ex-sergent.

Il fouilla dans sa poche en quête de quelques pièces, qu’il tendit au pauvre infirme. Il se sentait un peu honteux, mal à son aise, irrité aussi de voir qu’un homme de cette espèce pouvait finir de la sorte. Si la paix venait enfin, on allait voir bien des tuniques rouges mendier ainsi dans les rues.

Mais l’autre ne semblait pas étonné du tout. Il lui fit un grand sourire et le salua avec une solennité un peu moqueuse.

— Sergent Tolcher, commandant. C’est la vie, pas vrai, commandant ?

Herrick hocha tristement la tête.

— Et sur quel bâtiment serviez-vous, sergent ?

— Vous voulez dire, le dernier, commandant ? Le vieux Culloden, commandant Troubridge, un vrai gentilhomme que c’était, enfin, pour un officier de marine, c’est ça que je veux dire.

Herrick devait continuer sa route, mais quelque chose le retenait. Ce fusilier inconnu avait participé au combat d’Aboukir, alors que Bolitho et lui étaient également dans les parages. A bord d’un autre bâtiment, certes, mais au même endroit.

— Bonne chance à vous !

Herrick repartit en pressant le pas et se dirigea vers l’entrée.

Le fusilier mit l’argent dans sa poche ; son petit auditoire s’était envolé, mais ce commandant solidement bâti aux yeux bleus avait compensé le manque à gagner et au-delà. Direction l’auberge du Volontaire pour aller vider quelques pots de bière avec les amis !

Le fusilier invalide, l’ancien sergent du Culloden, faisant claquer son pilon sur les pavés, s’éloigna et eut bientôt disparu.

Lorsque Herrick entra dans la chambre, les deux femmes se tenaient face à la porte, comme si elles attendaient depuis des heures.

— Je suis désolé, Dulcie, j’ai été retenu. Mes ordres viennent d’arriver.

Il ne vit pas l’éclair d’inquiétude qui traversait les yeux de son épouse car il regardait la jeune femme, debout près de la cheminée sans feu.

Mon Dieu, qu’elle est belle ! Elle portait une jupe vert foncé et avait attaché ses cheveux châtains en natte avec un ruban assorti. Elle était toute pâle, ses grands yeux bruns lui mangeaient le visage. Elle lui demanda :

— Des nouvelles, Thomas ?

Herrick se sentait tout ému, à la fois de la voir si calme et de ce qu’elle l’avait si facilement appelé par son prénom.

— Non, pas encore, lui répondit-il.

Il s’approcha d’une petite table, prit un verre, le reposa.

— Mais les nouvelles mettent du temps, vous savez. Surtout ces nouvelles-là.

Il s’approcha d’elle et lui prit les mains. Ses mains qui étaient si douces, si charmantes dans ses rudes pattes de marin. Des mains sans défense.

— Dulcie m’a dit, répondit-elle doucement, ce que vous lui avez écrit dans votre billet. Et j’ai appris des nouvelles par des officiers, en bas, ils disaient que le bâtiment s’était perdu. Y a-t-il quelque espoir ?

Elle leva les yeux vers lui. Et ses yeux trahissaient son calme apparent, ils le suppliaient.

— Nous ne savons presque rien. La côte est mal pavée dans ces parages et, pour autant que j’ai réussi à apprendre quelque chose, le Styx s’est enfoncé après avoir heurté quelque chose, peut-être une épave. Il a coulé immédiatement.

Il avait répété ce discours des centaines de fois, même lors de la conférence pendant laquelle il avait détaillé ses ordres à ses commandants. Il savait trop bien comment cela se passait, ayant fait naufrage avec le bâtiment qu’il commandait. Il entendait encore le fracas des espars qui tombent, les hurlements, le chaos qui s’empare du navire, fût-il le plus discipliné, lorsqu’il part en morceaux. Les hommes qui nagent, qui meurent, ceux qui périssent en braves et ceux qui maudissent le nom de leur mère jusqu’à ce que la mer les fasse taire.

— Mais votre Richard était bien entouré. Allday était sûrement près de lui, et le jeune Neale était un commandant de premier ordre – elle jeta un rapide coup d’œil à Dulcie. Qui préviendra son neveu ?

Herrick retira doucement ses mains.

— Ce ne sera pas nécessaire. Il était là. A bord du bâtiment qui… – il retint un instant ce qu’il allait dire – … à bord de la Phalarope. Elle était avec eux à ce moment-là.

Dulcie Herrick mit les mains sur sa poitrine.

— Dieu bénisse ce garçon.

— Oui, cela va lui faire un coup.

Belinda Laidlaw s’assit pour la première fois depuis qu’elle était arrivée en diligence.

— Commandant… – elle essayait de sourire – … Thomas, puisque vous êtes son ami, et le mien désormais, j’espère… à votre avis, que s’est-il passé ?

Herrick sentit que sa femme lui mettait un verre dans la main et lui lança un regard plein de reconnaissance.

— Richard, répondit-il, est toujours resté au fond de lui-même le commandant de frégate qu’il a été. Il aura voulu foncer sur l’ennemi sans perdre un instant. Mais, en tant qu’amiral et commandant en chef, il avait ce jour-là d’autres responsabilités : exécuter le plan de l’amiral Beauchamp et soulager l’Angleterre de la menace d’invasion qui allait grandissant. Voilà en quoi consistait ce qu’il avait à faire, voilà quel était son devoir.

Il la regardait, l’air implorant.

— Mon Dieu, madame, si vous saviez à quel point il se faisait du souci, combien cela lui a coûté de partir sans vous avoir revue, sans pouvoir vous fournir d’explication. La dernière fois que je l’ai vu, il se rongeait à ce sujet, il parlait de son manque d’égards envers vous. Mais si vous connaissez Richard, ajouta-t-il d’une voix ferme, si vous le connaissez bien, vous comprendrez certainement que, pour lui, amour et honneur ne font qu’un.

Elle hochait la tête, elle avait les lèvres humides.

— Je sais parfaitement tout cela. Et je ne voudrais pas qu’il en soit différemment. Cela ne fait guère qu’un an que nous nous connaissons et je n’ai passé que quelques jours en sa compagnie. Combien je vous envie, Thomas, vous qui avez partagé tant de choses avec lui, qui avez des souvenirs que je ne connaîtrai jamais ! – elle secoua la tête, faisant bouger sa chevelure sur son épaule. Je ne l’abandonnerai jamais, Thomas. Pas maintenant.

Des larmes roulaient doucement sur ses joues mais, lorsque Herrick et sa femme s’approchèrent d’elle, elle leur dit :

— Non, tout va bien ! Je n’ai pas l’intention de m’apitoyer sur moi-même alors que Richard a besoin de moi.

Herrick la regardait, l’air grave.

— Cela me réchauffe le cœur, madame. Mais ne vous détruisez pas vous-même en espérant trop, promettez-le-moi.

— Trop espérer ?

Elle s’approcha des fenêtres grandes ouvertes et sortit sur le balcon. Sa mince silhouette se détachait sur la mer et sur le ciel.

— C’est impossible. C’est pour lui que je vis. Il n’est rien dont je puisse me préoccuper davantage, mon cher ami.

Herrick sentit la main de sa femme dans la sienne et la pressa doucement. Belinda ressemblait à un navire pris dans une terrible tempête. Seul le temps pourrait répondre.

Il se tourna vers sa femme en l’entendant qui murmurait :

— Vous avez parlé d’ordres, Thomas ?

— Pardonnez-moi, ma chérie. Avec tous ces tracas que j’avais en tête…

Il se tourna vers la fenêtre en voyant la jeune femme regagner l’intérieur de la pièce.

— J’ai reçu l’ordre d’appareiller avec un convoi marchand qui part à Gibraltar. Quelques-uns de ces bâtiments transportent des cargaisons de valeur, et cela ferait de toute manière de belles prises.

Il se souvenait de la déception et même de la fureur qui l’avaient rempli lorsqu’il avait appris qu’on l’envoyait escorter un convoi alors qu’il aurait dû aller là-bas. L’amiral Hoskyn avait parlé du respect qu’il avait pour lui. Mais s’il refusait de remplir la première mission qu’on lui confiait en tant que commodore par intérim, aucun respect, aucun amour, pas même un anoblissement ne pourrait le sauver. La marine avait la mémoire longue, très longue.

— Cela sera une mission sans danger, mais assommante, ajouta-t-il, et je serai de retour à Plymouth avant que vous ayez été prévenues.

Ce n’était là qu’un demi-mensonge, et il passa plus facilement qu’il ne l’avait espéré.

Belinda posa la main sur son bras.

— Ces bâtiments vont-ils venir ici ?

— Oui. Deux arrivent de Bristol et les autres des Downs.

Elle hocha la tête, ses yeux étaient brillants.

— Je vais prendre passage à bord de l’un d’entre eux. J’ai quelques amis à Gibraltar. Avec des amis et de l’argent, je devrais pouvoir obtenir des nouvelles de Richard.

Herrick ouvrit la bouche pour protester, mais se tut en voyant Dulcie qui lui faisait un petit signe de tête. Il était exact que l’on avait déjà obtenu plus de renseignements sur des officiers tués ou disparus via l’Espagne ou le Portugal qu’en usant de moyens plus classiques. Pourtant sa sincérité, sa confiance inébranlable dans le fait que Richard Bolitho était sain et sauf allaient la rendre vulnérable et encore plus inguérissable si le pire était arrivé.

— Il y a un bâtiment de la Compagnie des Indes, la Duchesse de Cornouailles. Je crois que vous aviez quelques contacts au sein de la Compagnie, aux Indes. Je suis sûr qu’ils vous traiteront aussi bien que possible. Je vais écrire à son capitaine – il se força à sourire : Il faut bien qu’être commodore serve à quelque chose !

Elle esquissa un léger sourire :

— Merci. Vous êtes bon avec moi. Je préférerais seulement faire route à votre bord.

— Mon Dieu, madame, avec tous ces forbans et autres gibiers de potence pour compagnie, je ne me sentirais pas tranquille dans ma couchette !

Elle releva ses cheveux qui flottaient sur son épaule. Eh bien, songea Herrick, pas besoin de se demander comment Bolitho a été conquis.

— En tout cas, reprit-elle, je verrai votre vaisseau tous les jours, Thomas. Je me sentirai moins seule.

Dulcie prit ses mains dans les siennes :

— Mais vous ne serez jamais seule, ma chère.

Herrick entendit une cloche sonner et jura intérieurement.

— Je dois m’en aller – et, se tournant vers la jeune femme à la jupe verte : Vous aussi, vous devrez vous y habituer.

Il essayait de la tromper, ou se laissait-il prendre par son courage, sa foi ?

Herrick sortit dans l’air frais du soir, rien ne semblait avoir changé. Il inspecta rapidement le coin de la rue, espérant plus ou moins que le fusilier unijambiste serait encore là.

Arrivé à la jetée, il aperçut le canot qui l’attendait, immobile, puis les avirons s’animèrent et l’embarcation se rapprocha. Herrick tenait fermement la poignée de son sabre et espérait que ses yeux allaient enfin cesser de lui picoter. Tuck ne le laisserait pas davantage prendre un canot de louage qu’il n’eût toléré de voir quelqu’un cracher sur le pavillon.

A eux deux, Tuck et cette jolie femme aux cheveux châtains, ils lui avaient donné une nouvelle énergie. Et pourtant, dans son tréfonds, il savait bien qu’il allait probablement le payer assez cher. Mais à chaque jour suffit sa peine.

Il donna un coup de fourreau sur les pavés usés et marmonna : « Allez, Richard, tiens bon ! On n’est pas encore cuits ! »

 

— Vous désirez me voir ?

Le lieutenant de vaisseau Adam Pascœ se tenait debout au milieu de la chambre, les yeux rivés sur un point qui se trouvait quelque part au-dessus de l’épaulette droite de son capitaine.

Emes était assis dans son fauteuil, les mains jointes.

— C’est exact.

Derrière la portière de toile et la fenêtre de poupe plongée dans l’ombre, tout était calme, on n’entendait que le bruit étouffé de la mer et du vent, les gémissements des membrures.

— Voilà cinq jours que le Styx a coulé, commença Emes. Cela en fera six demain. Je n’ai pas l’intention de laisser passer une journée de plus, ni même une seule heure, sans vous adresser la parole pour vous dire autre chose que les ordres indispensables à l’exécution de vos devoirs. Vous êtes mon second, un emploi fort honorable pour quelqu’un d’aussi jeune que vous. Mais après tout, peut-être êtes-vous trop jeune ?

Pascœ le regarda droit dans les yeux.

— Je ne comprends pas ! Comment avez-vous pu faire cela ? Comment avez-vous pu les abandonner et les laisser mourir de cette façon ?

— Parlez calmement, monsieur Pascœ, et dites-moi commandant lorsque vous vous adressez à moi, en toutes circonstances.

Tap… tap… tap, il tapotait ses doigts les uns contre les autres, très régulièrement, très doucement.

— Attaquer ces bâtiments français n’avait pas de sens, une fois que la présence de ce gros vaisseau a été connue. Nous avons une très, très vieille frégate, monsieur Pascœ, ce n’est pas un bâtiment de ligne !

Pascœ baissa les yeux. Ses mains tremblaient si fort qu’il dut les plaquer contre ses cuisses pour essayer de les maîtriser. Il avait réfléchi à tout cela, il en avait rêvé, il ne cessait d’y penser depuis ces terribles instants. Si son oncle avait péri, ce n’était pas de mourir qui lui aurait fait peur. Mais voir la Phalarope, ce vaisseau qu’il avait aimé, la voir les abandonner, lui et les siens, pour les laisser périr noyés ou succomber à leurs blessures, c’est cela qui avait dû être le pire pour lui.

Emes continua, sur le ton égal qui lui était habituel :

— Si votre oncle n’avait pas été présent à bord du Styx, vous auriez peut-être réagi différemment. Vous êtes trop impliqué, trop proche de lui, pour accepter la réalité. Le Styx n’avait aucune chance de s’en sortir. Ma première responsabilité concernait ce vaisseau et, en tant qu’officier le plus ancien, je devais assurer la suite du commandement des quelques forces qu’il nous reste. Un geste plein de bravoure, mais inutile, ne m’aurait valu de remerciements ni de la part de l’Amirauté ni de celle des veuves supplémentaires qu’aurait faites votre façon de voir. Je suis satisfait de vos services jusqu’à un certain point. Mais, s’il me faut vous sermonner une fois encore, je ferai en sorte que vous passiez en cour martiale. Est-ce clair ?

Pascœ explosa :

— Croyez-vous donc que je me soucie… ?

— Eh bien, vous devriez !

Et il plaqua violemment ses deux mains sur son bureau.

— D’après ce que j’ai entendu dire, la famille de votre oncle porte un nom dont elle est fière, n’est-ce pas ?

Pascœ se rebiffa :

— Il a tout fait pour moi, tout.

— Tout à fait – Emes se détendit un peu. Vous appartenez à cette famille, vous êtes de son sang.

— Oui, commandant.

— Alors, souvenez-vous de ceci. Vous serez peut-être le dernier rejeton de cette lignée – il leva la main comme Pascœ s’apprêtait à protester. J’ai dit peut-être, tout comme je serai le dernier de la mienne. Lorsque vous rentrerez chez vous, les gens vous regarderont. Il y a bien plus en jeu que votre désespoir. Haïssez-moi, si vous voulez, mais faites votre devoir. C’est tout ce que je vous demande, non, c’est tout ce que j’exige !

— Puis-je me retirer, commandant ?

Emes baissa les yeux et resta là à contempler ses mains jusqu’à ce que la porte se fût refermée derrière le jeune officier et sa mèche de cheveux rebelle. Puis il se palpa le front et regarda la paume de sa main. Elle était humide de sueur. Il se sentait sale, nauséeux.

L’affaire n’était pas close, et il savait que le temps ne suffirait pas à la régler. Pascœ ne la laisserait pas en l’état et, dans son désespoir, était capable de tout détruire autour de lui.

Emes prit une plume et resta à contempler son livre de bord, le regard vide. Il avait eu raison, il savait qu’il avait eu raison, il devait en convaincre tous les autres.

Mais ce cauchemar allait-il cesser un jour ? Les accusations, le mépris dont avaient fait preuve tous ceux qui n’avaient jamais entendu un coup de canon ni connu l’horreur de ce qui était la pire décision pour un commandant ?

Et ces mêmes inquisiteurs anonymes allaient le condamner sans faiblir. S’être fait accorder une chance, puis avoir laissé périr son amiral sans avoir consenti aucun sacrifice personnel, cela ne méritait aucun pardon à leurs yeux.

Il fit des yeux le tour de la chambre : il revoyait Bolitho dans ces lieux, se demandant ce qu’il avait pu ressentir à se retrouver à bord du bâtiment qu’il avait commandé il y avait si longtemps. S’il avait besoin que quelque chose lui rappelât cette rencontre, il lui suffisait de regarder son second, voilà qui était parfaitement clair et net.

De son écriture la plus soignée, il commença.

« La patrouille de ce jour s’est déroulée sans incident particulier… »

 

Victoire oblige
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